COVID-19 : Où es-tu, Dieu?

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Par Jean-Philippe KAEFER

Théologien

Créateur du ciel et de la terre, de l’ « univers visible et invisible », Dieu n’aurait-il pas pu, puisqu’il est le Maître de la création, empêcher l’apparition du coronavirus ou, tout au moins, limiter sa pandémie ?

Que de prières les chrétiens n’ont-ils pas adressées au Créateur !  Le pape François a effectué un pèlerinage dans les rues de Rome, il a imploré le Christ devant une  croix miraculeuse, ainsi que la Vierge Marie.  Attitude typiquement évangélique, quand on se souvient que Jésus a lui-même déclaré : … Si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux » (Mt 18,19), et, pour ne citer qu’un second exemple parmi tant d’autres : Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? (Lc 19, 7).

L’Ancien Testament est convaincu que Dieu est capable de maîtriser les dangers qui pourraient nuire aux êtres humains. Il a assigné à la mer ses limites (Job 38,11) et est capable de maîtriser ses flots (Ps 89,10).  N’a-t-il pas protégé Israël de la terrible dixième plaie qui frappa les Egyptiens, oppresseurs de son peuple (Ex 12, 23-27), et ouvert un passage dans la mer Rouge pour le libérer définitivement (Ex 14, 15-31 ; 15) ? En Isaïe 50, 2, le Seigneur déclare lui-même: Serait-ce que ma main est trop courte, que je n’ai pas la force de délivrer ?  Jésus lui-même a exercé sa puissance contre la tempête et sauvé ses disciples de la perdition (Mc 4,35-41). Pourquoi, dès lors, n’ordonne-t-il pas aussi au coronavirus : « Silence ! Tais-toi » (Mc 4, 39) ?

Le Covid-19 met vraiment à l’épreuve notre foi en Dieu. Pourquoi se tait-il ? Pourquoi ne renouvelle-t-il pas aujourd’hui les merveilles d’autrefois ?

Une réponse telle que celle-ci, entendue sur You Tube de la bouche d’un prêtre français, est totalement inacceptable : « C’est pour nous punir de ne plus assez penser à Lui que Dieu a permis au coronavirus de frapper ». Il est sans doute vrai que la culture contemporaine soit une culture de « l’oubli de Dieu ».  Encore faudrait-il le vérifier.  Mais, outre le fait que ce raisonnement n’a absolument rien de chrétien, il risque bien de produire l’effet contraire à celui souhaité et conduire à l’athéisme pur et simple.  En effet, si Dieu est si peu « aimable », mieux vaudrait-il s’en débarrasser définitivement.

Un autre type de réponse consiste à dire que Dieu nous envoie une épreuve pour « vérifier » notre taux de foi, voire pour la relancer.  Mais Dieu ne sait-il pas par lui-même où en est notre adhésion à Lui ? D’autre part, il est vrai que la souffrance peut parfois devenir « purificatrice », susciter un sursaut au plan de la foi. Des exemples d’hier et d’aujourd’hui ne manquent pas qui vont dans ce sens.  Mais le problème qui subsiste consiste à savoir s’il est vrai que c’est Dieu qui envoie telle ou telle épreuve. La réponse chrétienne est catégorique : non.  Dieu n’est pas un être sadique.

Pourquoi le Maître de l’univers ne se manifeste-t-il pas dans la pandémie du coronavirus ? Si on prétend qu’il est un Dieu d’amour, comment se fait-il qu’il ne le montre pas ? Car, si l’on en croit les faits particuliers rapportés de-ci, de-là, comme à Lourdes, par exemple, la main divine n’a pas l’air d’être devenue tout à fait inerte. Alors ?

On aurait tort de suspecter les faits miraculeux qui jalonnent l’histoire judéo-chrétienne et, surtout, de reprocher à Dieu d’intervenir avec parcimonie. Le prophète Isaïe nous met en garde : Vos pensées ne sont pas mes pensées, … autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies (Is 55, 9).

D’autre part, la réponse divine doit-elle nécessairement « tomber d’en-haut » ? Doit-elle absolument revêtir une forme extra-ordinaire (« miraculeuse ») à nos yeux humains ?

Nous ne devons pas perdre de vue que le Christianisme est une religion de l’Incarnation. Depuis la venue de son Fils, Dieu a une fois pour toutes pris la chair de notre chair.  Lors de son Ascension, Jésus ne nous a pas dit « au revoir ; je reviendrai à la fin du monde et règlerai tous vos problèmes à ce moment-là ».  Au contraire, il fit cette promesse : Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20) et : c’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous » (Jn 16,7). 

La puissance du Ressuscité et de l’Esprit saint va-t-elle s’exercer à la manière de l’avatar hindou qui, descendu du ciel pour remettre de l’ordre sur terre, y retourne une fois sa mission terminée ?

Le Dieu incarné est Celui qui travaille dans nos cœurs et nos intelligences.  Il rend possible nos efforts, les soutient et leur permet de se déployer au-delà de ce que nous pourrions imaginer.  Son action nous travaille de l’intérieur.  Je serai avec ta bouche, promettait déjà le Seigneur à Moïse avant de l’envoyer chez le pharaon (Ex 4, 12). Il n’y a donc pas Dieu d’un côté et l’homme de l’autre. Dans l’énergie des médecins, à travers l’inlassable dévouement du personnel soignant, la patience et la persévérance de nous tous, l’endurance de nos prières aussi, Dieu accomplit fidèlement l’œuvre qu’il a toujours réalisée depuis la création.  Nous devons comprendre et accepter que le « merveilleux », le « miracle » (miraculum : « chose, événement étonnant »), a opéré un déplacement dans notre culture. 

Il ne se situe plus du côté du bouleversement des lois naturelles, mais dans l’admirable effort (dont l’ampleur nous étonne parfois) du cœur humain. Un peu à la manière d’Etty Hillesum, nous pouvons apprendre à être des hommes et des femmes heureux, pourvu que Dieu soit chez nous en de bonnes mains.

Religion de l’Alliance et de l’Incarnation, le Christianisme nous invite à lire les « signes » de Dieu dans la vie elle-même, non en dehors. En vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais : il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père (Jn 14,12).

C’est bien ce qui s’est passé.  Le dévouement inlassable des médecins, du personnel soignant et de tant de personnes sensibles à la détresse provoquée par le coronavirus, a accompli une œuvre qui a certainement dépassé les « œuvres » accomplies par le Christ terrestre.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous avons vécu, alors que nous étions éloignés physiquement des liturgies traditionnelles du Triduum et de Pâques, une proximité religieuse plus réelle que d’habitude avec le sens de ces célébrations.

Durant toutes ces semaines de confinement,  le lavement des pieds (Jeudi saint), la passion du Christ et sa mise au tombeau (vendredi), le grand silence du samedi et le triomphe pascal (dimanche de Pâques) n’auront sans doute jamais été vécus avec autant d’intensité depuis la seconde guerre.  Et ce, en dehors de nos églises !

La mort et la vie s’affrontèrent

en un duel prodigieux, le maître de la vie mourut ;

vivant, il règne.

                                                                   (Séquence de l’Eucharistie du jour de Pâques)

 

Jean-Philippe Kaefer