“City-trip”, le deuxième ouvrage de l’auteure Eve Kapem

L’auteure liégeoise Eve Kapem interviewée par Caroline Werbrouck, déléguée épiscopale

“City-trip” est le deuxième ouvrage de l’auteure liégeoise Eve Kapem, paru en 2021 chez Empaj Editions.

Son premier ouvrage « Relève-toi ! Ou comment je suis sortie du burn-out » nous partageait la traversée de son burn-out jusqu’à sa renaissance par le biais de l’écriture libératrice, un essai en grande partie biographique de ce que notre écrivaine, professeure de français, mariée et maman de deux ados a vécu.

Ici, il est peut-être aussi question de « bouger » et ce à travers les voyages d’Adèle, 25 ans et d’Alex,  94 ANS. La première travaille en maison de repos, le deuxième y réside. Jusque-là… mais si je vous dis que ce roman situe sa narration à Stembert, en 2020, c’est à dire   en plein confinement pendant l’épidémie, cela pique peut –être votre curiosité ! C’est que, comme le dit l’auteure « Même confiné, personne n’est enfermé ». Nous l’avons rencontrée pour en savoir plus.

Caroline Werbrouck : Comment avez-vous eu l’idée de ce roman ?

Eve Kapem : Le point de départ est la construction d’une maison de repos près de chez moi qui est donc apparue dans mon paysage visuel alors que j’avais aussi des souvenirs lointains des visites à mon grand-père, placé en home. Parallèlement, j’ai vu un reportage télévisé où l’on entrait dans la vie d’une maison de repos en plein confinement. L’idée qui paressait ressortir était que tout allait bien malgré la terrible solitude des pensionnaires, privés des visites des membres de leur famille. On faisait chanter les résidents et j’ai vu à l’écran le visage très triste d’un vieil homme qui semblait me dire : « Non, tout ne va pas bien ». J’ai ressenti un mélange de grande compassion et de profonde douleur au cœur, car je trouvais irrespectueuse cette intrusion des caméras dans la vie des personnes âgées. Les décisions prises suite à la pandémie provoquaient un plus grand isolement encore pour des personnes déjà fort en manque de liens. On privait ces vieux de leur petit bonheur qu’est de voir leurs proches. C’est là qu’est né le personnage d’Alex : oublié et rebelle.

En outre, cet été-là, deux voyages que j’avais prévus ont été annulés. Or voyager est très important pour moi. Là est né le personnage d’Adèle : indépendante et pétillante. Il me restait à enfermer ces deux êtres séparés par 69 ans dans une maison de repos, au fond du couloir des oubliés. Un seul moyen de s’échapper : voyager ! Par la pensée évidemment, mais toutes ces villes qu’Adèle se met à raconter à Alex les emmènent à la fois loin du confinement, dans des endroits merveilleux mais aussi à l’intérieur d’eux-mêmes. Ainsi, Alex va enfin revenir sur son passé douloureux et Adèle oser imaginer un futur possible.

CW : En ayant lu vos deux ouvrages, j’ai l’impression que pour vous le thème de « la libération » est important ?

EK : Effectivement. Quand je crée « mes histoires », j’ai l’impression que c’est le moment où je suis la plus libre, je deviens légère. Avec mes personnages tout est possible ! J’ai la même sensation lorsque je promène mon chien. Le contact avec la nature me permet aussi de m’évader.

CW : Peut-on dire qu’il y a une forme de « résistance » dans vos livres ?

EK : Oui. Je me suis posée la question de savoir si l’on peut accepter de laisser mettre à mal nos libertés mais aussi nos valeurs. Parfois la manière dont les personnes âgées sont traitées dans la société me révolte car, à mes yeux, ce sont les personnes qui doivent être le plus respectées.

Je voulais donc qu’Adèle fasse de la résistance contre les décisions prises pendant le confinement et arrive à sortir Alex de la prison dans laquelle il est enfermé depuis presque 20 ans ! Leur rébellion va les faire renaître et les libérer du poids de leur passé respectif.

CW : Est-ce que vous aussi, cela vous a libérée ?

EK : Oui, car pendant ce confinement, je suis partie  « en voyage » avec mes personnages. Je me suis replongée dans mes albums photos et je les ai revécus autrement, à travers la fiction. J’ai embarqué avec Alex qui n’a pas la langue dans sa poche et avec Adèle qui n’a peur de rien et je me suis laissée guidée par eux. Quand j’ai écrit ce roman, j’étais à la fois dans ma bulle à moi et à mille lieues de chez moi.

Dans mes livres, je mets tout ce qui est important pour moi.

D’abord, chaque personnage porte un message que je veux faire passer et que je ne sais pas nécessairement dire dans ma vie courante mais qui doit sortir ! Je trouve qu’on ne prend pas souvent le temps de réfléchir à nos valeurs profondes mais l’écriture me le permet.

Ensuite, chaque ville décrite et que j’ai moi-même visitée m’a apporté quelque chose. Chaque voyage m’a enrichie, aidée à devenir qui je suis, transformée vers plus de sagesse, de quiétude et de contemplation. Je dis souvent qu’on n’a pas le temps de contempler, on passe d’une chose à l’autre, surtout à l’heure actuelle. Mais j’aime me poser pour contempler et c’est justement ce qu’on fait en voyage. On s’assied dans une église, on regarde. Quand nous voyageons, nous sortons de notre temps quotidien et nous entrons dans un temps plus lent. Je remarque que plus je vieillis, plus j’ai besoin de lenteur dans laquelle je trouve de l’intensité. Intense au sens de profond et non de surchargé. Chaque chose devient alors importante.

Enfin, je mets aussi de la musique dans mes écrits car dans la vie j’en ai besoin. Prendre le temps d’écouter, c’est fondamental pour moi.

CW : Il y a aussi une intrigue presque policière dans votre dernier livre ?

EK : Oui. J’aime le mystère, les choses inexpliquées. Je suis partie d’un meuble familial, un scriban et je l’ai placé au centre de mon intrigue. Il trône dans la petite chambre d’Alex et représente le seul lien avec sa vie d’avant. Le scriban symbolise à la fois le secret puisqu’il se referme et l’écriture. Dans ce « maudit meuble » comme l’appelle Alex, il y a son passé, d’où il vient, ce qui l’a construit. Mais le scriban est fermé à clé…

CW : Aujourd’hui votre livre vit sa vie….

EK : Oui, c’est gai. Un de mes plus grands plaisirs est d’imaginer qu’un jour, dans très longtemps, quelqu’un me parlera du livre par hasard et me dira: « Vous connaissez Eve Kapen ? » ou de le visualiser  dans une vieille bibliothèque, presqu’oublié puis un jour un lecteur ou une lectrice l’ouvrira et partira en voyage.

Si vous aimez à la fois voyager en pensée et être amené à réfléchir sur l’essentiel, ne manquez pas cet ouvrage délicieux !

Date de sortie : 3 décembre 2021

Empaj Editions – City-trip par Eve Kapem